• Trim ( histoire vraie).

    Je ne peux pas parler de chat sans penser avec regret à mon pauvre trim, tout le monde l'aimait à bord du Spyall.
    Ce charmant animal était né à bord du HMS Roundabout en 1799, pendant un voyage du cap de Bonne-Espérance à Botany Bay et, selon les lois alors en vigueur, il était Indien de naissance.
    Les signes d'intelligence supérieur qu'il témoigna dès son enfance lui permirent d'acquérir une bien meilleure éducation que ceux de sa race.
    Elevé parmi les marins, il acquit des manières qui le rendirent aussi différent des autres chats qu'un navigateur courageux et agile peut l'être d'un paysan indolent et empoté.

    Par sa gentillesse et sa bonté naturelle, il mérita le nom de l'humble compagnon de mon oncle Toby, Trim, un valet au coeur d'or.
    Lorsqu'il jouait avec ses petits frères sur le pont durant les nuits de pleine lune, lorsque le navire demeurait à quai, la vivacité et la souplesse de ses gestes l'emportaient quelquefois au-delà de ses possibilités, si bien qu'il tomba une fois par dessus-bord.

    Ce  ne fut  pourtant pas un drame: il se mit à nager et n'eut plus peur de l'eau. On lui lança un cordage, il s'y accrocha comme un homme, puis la remonta comme un chat.

    Il fut vite capable de grimper l'escalier de la dunette plus rapidement que son maître, et même que le premier lieutenant! Aimé de tous à bord, officiers ou matelots, il fut bien nourri et grandit rapidement , tant en taille qu'en élégance.

    Par sa stature et le soin que l'on prenait de lui, Trim devint l'un des plus beau animaux que j'ai jamais rencontré. Il avait la taille de ses cousins d'Angora, et son poids variait de dix à douze livres selon le niveau de nos vivres.

    Sa queue était longue, large et fournie et lorsqu'il était contrarié par l'approche d'un étranger qui n'aimait pas les chats, il se gonflait, se hérissait, atteignant une taille effrayante et des éclairs sortaient de ses yeux flamboyant. le reste du temps, c'était la gentillesse et la franchise même. Sa têt, petite et ronde, témoignait de son intelligence et de sa confiance en soi.

    Ses moustaches, gracieuses étaient longues, et ses oreilles se dressaient d'une manière particulièrement élégante.
    Sa robe  était d'un noir brillant à l'exception de ses  quatre pattes dont les extrémités étaient d'un blanc neigeux, ainsi que sa lèvre inférieur et une étoile sur le poitrail, d'un blanc également éclatant.

    La nature, peut-on penser, l'avait créé pour être le prince, le modèle de sa race. je doute que le chat de Whitington , dont on a tant parlé et sur lequel on a  tant écrit, puisse lui être comparé. En dépit de ma partialité évidente, la plus élémentaire justice m'oblige à relever un trait de son caractère qui semble pourtant être un défaut.

    Trim était, je suis navré de le dire, extrêmement vain  de sa personne, en particulier de ses pattes blanches. Il s'installait souvent sur la dunette en face des officiers, juste devant leur passage et, étendant ses pattes de devant dans l'attitude du lion assis, il les obligeait à le remarquer, à s'arrêter pour l'admirer, s'ils se disaient bien entre eux:" as-tu remarqué la vanité de ce chat?",

    ils ne pouvaient naturellement s'empêcher de remarquer la beauté de sa silhouette et la blancheur de ses pattes. Lorsqu'ils découvraient qu'à cette beauté exceptionnelle il ajoutait des qualités mentales étonnantes, les officiers ne pouvaient se fâcher contre lui: ces hommes bien éduqués ne pouvaient se montrer jaloux.

    Sans vouloir me faire l'avocat de la vanité, je pense que si elle fut jamais excusable, c'était bien dans ce cas. Combien d'autres, n'ont aucun motif de se vanter- naissance, fortune, réalisation personnelle ou qualités intellectuelles- devraient-ils cacher leur vanité, sauf Trim? j'ajoute pour sa défense, qu'il ne s'est jamais moqué de qui que ce soit et n'a jamais dénoncé les prétentions de quiconque, ce qui est beaucoup plus qu'on ne peut en attendre de la plupart des bipèdes.

    Par ailleurs, si vain qu'il ait été, Trim ne s'est jamais conduit comme ces jeunes hommes qui, assurés de leur indépendance, gaspillent leur jeunesse dans des futilités et considèrent que les occupations sérieuses les font déroger, sont pédantes ou inutiles.

    Il était au contraire animé d'un zèle très noble pour cultiver ses dons. Il commença par apprendre à sauter par-dessus la main, et comme tout le monde à bord prenait plaisir à l'instruire, il parvint à la perfection dans cet art.

    Si la nature l'avait fait naître au royaume de Lilliput, ses mérites lui auraient valu d'être promu aux premiers emplois de l'Etat, j'en suis certain. On lui apprit à faire le mort, à plat sur le pont, les quatre pattes allongées.

    Tandis que son professeur reprenait ses occupations, il restait immobile jusqu'au signal de se lever, mais si on l'oubliait dans cette position qui n'est pas la plus confortable pour un jeune quadrupède, un léger frémissement du bout de la queue dénotait un début d'impatience et l'on ne poussait pas plus loin l'exercice.

    Trim s'intéressait à l'astronomie nautique  lorsqu'un officier prenait une hauteur ou effectuait une observation de la lune, il se plaçait près du chronomètre et suivait avec la plus grande attention le maniement des instruments. Il touchait la main, écoutait le tic-tac de la montre, faisait le tour de la pièce pour s'assurer qu'il ne s'y trouvait aucun animal, puis il revenait vers l'officier en miaulant comme pour obtenir des explications.


    Celui-ci poursuivait ses calculs et le "top!" devant la montre arrachait Trim à ses réflexions. Il redressait alors la queue et, courant et grimpant  tout autour, miaulait pour qu'on lui  explique tout ce que cela signifiait.
    Chez les officiers comme chez les matelots, Trim était admis presque partout à table. Au carré des lieutenants il était toujours le premier au moment du dîner, mais bien qu'il fut généralement installé un quart d'heure avant tout le monde, il s'en tenait à une grande réserve; on ne l'entendait pas avant que chacun soit servi.


    Il élevait alors la voix, non pour réclamer une ration complète- il était trop modeste pour  cela, il ne demandait même pas une assiette, une fourchette, une cuiller et un couteau, ustensiles dont il savait très bien se passer, mais un gentil  petit miaou indiquait qu'il espérait un peu, un tout petit peu, une part minuscule des rations de chacun.

    Pas question, d'ailleurs, de la lui refuser! Autant Trim était poli, bien élevé en temps ordinaire, autant il se faisait pressant s'il en avait besoin. I

    Il portait alors la plus grande attention à chaque bouchée de celui auprès duquel il s'était installé, et s'il avait quêté en vain, il arrachait de la fourchette, d'un coup de griffe, le morceau pendant son transfert vers la bouche du convive avec une telle dextérité et un air si gracieux qu'il soulevait plus d'admiration que de colère.

    Il ne sautait pas ensuite de la table avec sa prise, comme s' il l'avait volé, mais il la portait à sa bouche et la mangeait paisiblement. Il allait ensuite vers un autre convive et répétait son petit miaou.

    Si on lui refusait encore, il attendait qu'une occasion se présente...Il existe en effet des gens assez inconséquents pour parler alors qu'ils devraient se nourrir et qui gardent leur viande piquée au bout de leur fourchette jusqu'au moment ou leur propos leur laisse enfin la possibilité de manger sans s'interrompre.

    Ces gens là, en particulier, étaient sa cible, et dès qu'une courte pause lui offrait l'occasion d'agir, il s'emparait prestement d'une bouchée que l'orateur s'étonnait ensuite de voir disparue sans qu'il puisse s'expliquer comment.

    Un jour, au carré des lieutenants, Trim, à l'époque guère plus qu'un chaton, avait raté un beau morceau du repas d'un jeune officier. Le voyant manger et parler en même temps, l'animal n'abandonna pas.

    Voyant que la bouchée déjà à demi mâchée n'attendait qu'un instant pour disparaître, il s'agrippa au gilet du convive distrait et, plaçant une patte de chaque côté de s bouche, il entreprit une attaque vigoureuse.

    Tandis que le midship s'exclamait:" Sacré chat!", Trim lui avait déjà arraché le morceau de la bouche et l'avait emporté! C'était aller trop loin: Il fut puni et ne recommença pas. Bien qu'il ait déjà dîner avec ses maîtres, Trim n'était ps assez fier pour ne pas aller s'asseoir ensuite avec les domestiques.

    Or William en particulier, le garçon de carré, était son confident. William tenait son intelligence en si haute estime qu'il lui parlait comme à un enfant. Trim, le regardant en face, faisait mine de le comprendre et lui répondait de manière tout à fait raisonnable. Le lendemain de l'exploit que je viens de vous raconter, ils eurent après le repas une conversation:

    - Savez-vous, Monsieur Trim, que vous vous êtes très mal conduit?
    -Miaouuu...
    - C'est très bien de faire vos tours avec ceux qui vous connaissent, mais vous devriez être plus prudents avec les autres.
    - Miaou..
    .-Comment oseriez-vous prétendre que je ne vous ai pas servi un petit -déjeuner confortable? Ne vous ai-je pas donné tout le lait qui restait, avec du pain trempé dedans?
    -Miaaa-ou!
    -Pas de viande? Dites donc! Seriez-vous insolent? Je vais vous mettre aux fers, moi, vous savez!
    -Miaaa...
    -Bon, si vous  me promettez de vous tenir convenablement à l'avenir, vous aurez pour dîner un beau morceau du rôti de mouton,  voulez-vous?
    - Miaou! Miaou!
    - Parfait, Monsieur trim, je vais vous en donner tout de suite, mais jurez-moi d'abord que vous vous tiendrez bien.
    -Mia-ou!
    - Parfait. Vous êtes un bon garçon. Maintenant, embrassez-moi.


    Trim sauta sur son épaule, et frottant sa joue contre celle de William, il tira, bouchée après bouchée, des morceaux de mouton de sa bouche...

    Lors d'une expédition destinée à cartographier les côtes nord des Nouvelles-Galles du Sud ( Australie), Trim demanda à s'engager, promettant, pour qu'on le retienne, qu'il s'occuperait de la défense de nos provisions de pain contre les rats. Son offre fut acceptée.

    Bongaree, un Aborigène intelligent de Port Jackson ( Sydney) se trouvait également à bord de notre petit sloup. Ils formèrent tous les deux une équipe très solidaire. S'il voulait boire, Trim  miaulait et Bongaree lui donnait de l'eau de la réserve.

    S'il avait faim, il l'appelait et, allant à lui, il recevait un reste, généralement de cygne noir. Bref, Bongaree était sa grande ressource et il récompensait sa gentillesse par des caresses.
    Matthew Flinders 
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